Composer avec des défis de santé mentale en tant qu’immigrant asiatique de première génération peut s’avérer d’une complexité sans pareil. En l’honneur du Mois national de sensibilisation à la santé mentale des minorités (États-Unis), nous mettons en vedette Yiching Chua, thérapeute en santé mentale asiatique, travailleuse sociale et experte de LifeSpeak. Dans cet article, Yiching nous éclaire sur les facteurs culturels, familiaux et sociétaux qui affectent le bien-être mental de cette communauté diverse. Elle nous raconte son vécu personnel et nous fait part de ses observations professionnelles pour nous aider à comprendre l’importance de traiter ces défis avec de la compassion et du soutien approprié sur le plan culturel.
En tant que personnes immigrantes de première génération, nous nous retrouvons souvent entre deux mondes. Un certain sentiment de déconnexion nous habite, que nous nous soyons installés dans un nouvel endroit à l’enfance ou à l’âge adulte (selon notre volonté ou non). Le sentiment d’appartenance nous échappe, autant ici que dans notre pays d’origine. Ce sentiment de déconnexion est le résultat d’une dysphorie culturelle.
Les personnes asiatiques sont souvent catégorisées en un seul groupe, et c’est précisément pourquoi il nous est difficile d’harmoniser nos valeurs et nos croyances tout en valorisant notre santé mentale et notre bien-être. Notre diversité est incroyable; nos langues, nos dialectes, nos religions, nos croyances, nos plats, notre musique et même nos histoires varient grandement. La diversité est ce qui nous rend si unique en tant que communauté, mais elle peut vite devenir un obstacle quand il est temps d’aller chercher de l’aide et du soutien.
Par exemple, pour nos pairs d’Asie de l’Est et d’Asie du Sud d’appartenance religieuse bouddhiste ou hindouiste, les difficultés de santé mentale peuvent être vues comme des conséquences karmiques ou spirituelles. Nos pairs d’Asie du Sud ayant des croyances en lien avec le système de castes peuvent voir les problèmes de santé mentale comme une lutte des classes. Nos pairs de l’Asie de l’Est, pour leur part, ont tendance à voir les difficultés de santé mentale comme le résultat de la honte familiale. Ils reprochent souvent aux parents de ne pas avoir été assez stricts pour expliquer leurs mauvaises décisions ou leur état de « faiblesse ».
Notre diversité fait en sorte qu’il peut être difficile de traiter des difficultés de santé mentale qui soutiennent les différences familiales, sociales, culturelles et religieuses. Cependant, les similarités de nos cultures collectives peuvent nous aider à comprendre ce qui nous permet de nous sentir mieux. Nous valorisons la santé au sens le plus efficace du terme. Pour nous, la santé est synonyme de faire de bons choix. Ne pas sortir les cheveux mouillés pour ne pas attraper un rhume. Ne pas boire d’eau froide pour ne pas affecter le 氣(qì), c’est-à-dire l’énergie à l’intérieur de nous. Nous servir du 刮痧 (guāshā), un outil pour évacuer la chaleur de notre corps lorsque nous ne nous sentons pas bien (technique appropriée par les pratiques de beauté occidentales). Consommer certaines épices ou herbes, ou certains aliments qui nous donnent de l’énergie et de la vitalité. Toutefois, il arrive qu’en croyant que nous devons toujours faire de bons choix, la stigmatisation liée à obtenir de l’aide ne fasse que grandir.
Contrairement aux cultures et aux pays occidentaux qui, comme notre culture adoptée, voient la santé mentale comme tout autre aspect de la santé, nos communautés ne lui accordent pas la même définition. Dans le sens général, pour les personnes asiatiques, les difficultés de santé mentale sont perçues comme une faiblesse qui inflige une grande honte à notre famille. Ces difficultés reflètent une faiblesse quant à nos choix, notre famille (transmise par nos parents et nos ancêtres), et notre personnalité. Le terme « fou » est souvent associé à toute difficulté sur le plan de la santé mentale. Notre communauté connaît trop bien les sentiments de culpabilité et de honte. Nous avons tendance à croire que nous y sommes pour quelque chose.
Certes, les herbes et les épices orientales favorisent l’immunité et la santé, mais l’idée que certains aliments ou certaines boissons nous aideront sur le plan émotionnel ou mental est problématique.
En tant que personnes asiatiques, nous n’osons même pas chuchoter que nous avons des difficultés sur le plan de la santé mentale. Nous essayons plutôt de nous convaincre qu’en travaillant plus fort, le problème sera réglé.
Bien entendu, certains choix peuvent influencer notre bien-être. Impossible de contester notre autonomie en tant que personnes singulières. Or, nos croyances et valeurs en tant que personnes immigrantes asiatiques proviennent d’un sentiment beaucoup plus profond, ancré depuis de nombreuses années avant notre arrivée dans notre pays d’adoption. Les enfants de personnes immigrantes qui sont venus dans un pays où s’établir peuvent maintenant s’interroger sur ces expériences vécues en tant que personnes asiatiques de première génération. Ces expériences sont approfondies par les croyances de culpabilité et de honte, par les mauvaises décisions et les faiblesses.
Quand je faisais part d’une pensée ou d’un sentiment que je ne comprenais pas à ma mère, elle me répétait souvent cette phrase : 不要胡说乱想 (Bùyào húshuō luàn xiǎng), qui signifie « ne pense pas de bêtises ». Ou lorsque j’exprimais une frustration ou une inquiétude, le plus souvent à propos de l’école ou de mes amis, elle répondait habituellement quelque chose du genre : 你要学会吃苦 (Nǐ yào xuéhuì chīkǔ), « tu dois apprendre à supporter les épreuves ». Même le terme 吃苦(chīkǔ) aurait pour traduction littérale « manger ses difficultés », ce qui reviendrait à dire que l’on doit réprimer et ravaler son désespoir. En grandissant dans un foyer asiatique, nous avons tous déjà entendu des expressions de ce genre (ayant habituellement pour thème d’invalider, de rejeter, d’ignorer ou d’éviter tout conflit ou difficulté en lien avec les pensées ou les émotions). Ainsi, ces expressions ont continué d’alimenter notre honte et notre culpabilité de faire de mauvaises décisions ou d’être trop faible.
En tant que lecteur, vous pensez peut-être que ma mère ne se souciait pas de mes pensées ou de mes sentiments, et que ses actions étaient méprisantes. Et ce n’est pas entièrement faux. Or, si nous examinons la situation davantage, d’une pratique éclairée par les traumatismes et de l’acceptation radicale, nous constatons que ces croyances et ces valeurs ont été semées dès mon jeune âge comme mesure de protection.
Ma mère, en dépit de son manque de compassion et de validation émotionnelle dans ces situations, a agi de la seule manière qu’elle connaissait (en raison de ses expériences et de son éducation), c’est-à-dire en m’enseignant à me débrouiller seule dans ce pays étranger. Il m’a fallu de nombreuses années, ainsi que de la croissance personnelle et professionnelle en apprenant (et en désapprenant) de nombreuses choses pour en arriver à ce constat. Je le répète : ce n’est pas nécessairement le cas pour chacun d’entre nous (surtout pour ceux qui ont subi de la violence et des traumatismes — j’insiste sur le fait que ce n’est pas à vous d’utiliser l’optique de la pratique éclairée par les traumatismes en regardant l’auteur de la violence), pourtant, prendre du recul pour voir la situation d’un autre œil peut nous aider à guérir.
Les défis de santé mentale, si nous pouvons envisager ce qui a du sens pour nous en tant que personnes asiatiques de première génération, ne sont pas synonymes de mauvaises décisions ou de faiblesses personnelles ou familiales, mais plutôt d’une partie de la vie. Si la santé physique est importante pour notre bien-être, cultiver notre santé mentale et émotionnelle l’est tout autant. La vie est difficile, surtout pour les personnes immigrantes. Apprendre une nouvelle langue ou de nouvelles coutumes et règles sociales et culturelles, apprendre à socialiser et à interagir en milieu de travail ou à l’école ou même s’adapter au temps qu’il fait sont tous des facteurs de stress qui auraient des répercussions sur le bien-être de tous. Comment pourrait-il en être autrement?
Étant donné la diversité de nos communautés et la stigmatisation potentielle au sujet des difficultés de santé mentale, nous devons voir plus loin que l’approche coloniale occidentale pour soutenir notre propre santé mentale. Nous devons accepter que certaines de nos croyances et valeurs, qu’elles soient volontaires ou non, ne nous servent peut-être pas. Alors, comment y arriver?
En modifiant ces systèmes de croyances, nous pouvons enfin commencer à prendre des mesures pour soutenir notre santé mentale et notre bien-être. Vous méritez de bien aller, et votre famille aussi. Une fois que vous êtes prêt, faites le premier pas en vous procurant un soutien adapté sur le plan culturel.
Remarque de l’auteure : En tant que Malaisienne d’origine chinoise qui s’est installée sur l’Île de la Tortue (que nous connaissons sous le nom de « Canada ») en jeune âge, je suis extrêmement consciente que mon expérience diffère de celle de mes pairs asiatiques issus d’autres milieux culturels et ethniques (voire de mes pairs qui se sont installés sur ces terres à l’âge adulte). J’espère que vous saurez reconnaître une partie de vous-même en lisant cet article et que vous prendrez ce que vous jugez utile pour approfondir votre compréhension de votre relation avec vous-même, votre famille et votre culture afin de soutenir votre santé mentale et votre bien-être.
À propos de l’auteure, Yiching Chua, 蔡亦靜, thérapeute en santé mentale asiatique, travailleuse sociale et experte de LifeSpeak inc.
Yiching (prononcé i-tching) est une immigrante malaisienne d’origine chinoise et une Canadienne de première génération. Elle est thérapeute en santé mentale asiatique et travailleuse sociale, et compte 14 ans d’expérience à travailler auprès d’enfants, de jeunes, de parents et d’adultes. Elle a obtenu son diplôme de maîtrise en travail social de l’Université de Toronto et elle a reçu de nombreuses heures de formation clinique ainsi que des certificats en thérapie orientée sur les solutions, en thérapie cognitivo-comportementale, en thérapie comportementale dialectique, en thérapie centrée sur les émotions et en pleine conscience. Yiching offre également de la thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée (TCCca) pour les personnes racisées qui soutient ses clients dans l’apprentissage et la mise en pratique de compétences de TCC par une approche pertinente sur le plan culturel et fondée sur les croyances. Yiching est membre de l’Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l’Ontario et de l’Association des travailleuses et travailleurs sociaux de l’Ontario.