(*Cette entrevue a été modifiée par souci de concision et de clarté.)
J’ai une formation dans le domaine des neurosciences relativement aux traumatismes, particulièrement en ce qui a trait à l’héritage des traumatismes intergénérationnels que vivent nos peuples autochtones à la suite de la colonisation, des pensionnats et d’autres atrocités, comme le racisme et la discrimination, qui existent encore dans nos systèmes de soins. Donc, je vois vraiment la plupart des causes des problèmes de santé mentale chez les peuples autochtones, aujourd’hui, à travers le prisme de l’héritage des traumatismes.
Je suis tellement frappée par le poids et la lourdeur de cette nouvelle. Il y a un certain nombre d’années, j’étais dans ce même pensionnat pour animer une conférence sur la jeunesse, et à ce moment-là, j’ai ressenti la force la plus obscure que j’ai jamais ressentie. J’ai parcouru les lieux avec de jeunes adolescents à l’époque, et une jeune fille de 14 ans m’a dit que sa tante avait été violée dans la pièce même où nous nous trouvions. J’ai tout simplement ressenti ce poids dans mon cœur par rapport à ce que nous, en tant qu’Autochtones, devons affronter; les traumatismes et les problèmes de santé mentale qui seront évidemment les répercussions de cette découverte.
Je suppose que la question qui se pose est la suivante : qu’est-ce que cet événement permettra de découvrir d’autre, surtout avec les nouvelles technologies, et dans quels autres pensionnats ? Pour moi, ce n’est que le tout début.
Voilà une bonne question, selon moi. Je ne crois toujours pas que les gens soient très informés ou possèdent les connaissances sur le fait qu’historiquement, le Canada disposait d’un système de santé qui pratiquait la ségrégation des Autochtones. Nous avions des hôpitaux indiens où vous deviez aller si vous étiez autochtone. Au lieu des hôpitaux habituels bien financés qui offraient des soins adéquats, on nous offrait des soins inférieurs aux normes. Les patients atteints de tuberculose étaient littéralement placés à côté de mères en plein accouchement dans nos hôpitaux indiens.
Il y a quelques années, j’ai donné une série de conférences avec notre Indigenous Homelessness Steering Committee (Comité directeur sur l’itinérance chez les Autochtones); nous avons effectué une petite tournée pour apporter ces connaissances et cette information aux médecins et à d’autres fournisseurs de soins de santé. Au cours de l’une de ces visites, il y avait des médecins mariés dans l’auditoire. Un médecin avait fait son internat dans un hôpital indien, et de toute sa carrière médicale, il n’avait jamais appris l’histoire. Et je me suis dit, comment se fait-il que l’on puisse suivre des études de médecine, que l’on puisse même passer par notre système d’éducation publique sans avoir été informés des événements de notre histoire ?
Si nous examinons certaines des études épigénétiques, [qui consistent à étudier comment le comportement et le milieu peuvent avoir des effets sur l’expression génétique], nous apprenons comment des choses telles que la peur peuvent être conditionnées et transmises d’une génération à l’autre par le biais de nos épigénomes. Non pas dans votre ADN, mais grâce à l’épigénétique. Sur le plan de l’épigénétique, il est possible de transmettre la peur, acquise, conditionnée, d’une génération à l’autre. Nous l’avons prouvé dans des études en laboratoire, alors réfléchissez à ce qui s’est passé dans notre système d’hôpitaux indiens et à la façon dont cette peur se transmettrait à travers nos générations.
Il est tellement triste que nos peuples autochtones soient aux prises avec des taux de maladies chroniques considérablement plus élevés, et pourtant, ils ont tendance à être les derniers à se rendre chez le médecin ou n’importe où dans le système de santé pour recevoir le soutien et l’aide dont ils ont si désespérément besoin. Le temps qu’ils l’obtiennent, il est déjà trop tard. Je me pose toutefois des questions à ce sujet et je suis surprise de voir que les choses ont très peu changé au cours de notre histoire.
Par exemple, l’une de mes amies proches a vécu très récemment une expérience de racisme et de discrimination dans notre milieu de soins de santé. Une très jeune survivante d’une greffe de rein se trouvait à la salle d’urgence d’un hôpital, et elle m’a dit : « Je portais un pantalon d’entraînement et je ne m’étais pas maquillée, et mes cheveux étaient relevés en une queue de cheval. » Et elle a habituellement beaucoup d’assurance. C’est une femme d’affaires splendide qui a toujours l’air parfait et qui n’a jamais consommé de drogues de sa vie. Une infirmière est venue et lui a dit : « Allez, debout! Ce siège n’est pas pour les toxicomanes, mais pour les patients qui sont vraiment malades. » Et maintenant elle a le sentiment qu’elle doit se faire belle pour aller à l’urgence quand elle est malade. C’est tout simplement déchirant.
Les erreurs de diagnostic, les suppositions et les jugements sont quelque chose que nous constatons encore de nos jours; nous luttons contre les expériences quotidiennes de racisme et de discrimination tant dans notre milieu éducatif que dans notre système de santé. Cela a un impact réel sur le bien-être d’une personne. Je suis autochtone moi-même, et nous croyons vraiment à l’esprit, au corps et à l’âme; tous les aspects de la médecine reflètent au bout du compte les aspects mentaux, émotionnels, spirituels et physiques des soins, lorsqu’il est question de bien-être. Ces aspects de la discrimination et du racisme, ainsi que cette histoire et cet héritage de traumatismes, constituent sans aucun doute les origines du déséquilibre que nous observons actuellement dans la santé des Autochtones.
Au cours des 15 dernières années, nous avons mené une quantité incroyable de recherches qui examinent les études de neuroimagerie, et nous comprenons maintenant mieux ce qui se passe dans le cerveau. Nous nous penchons sur la science du cerveau en ce qui a trait aux traumatismes et sur la façon dont ces derniers peuvent avoir des conséquences sur la santé et le bien-être à long terme. Des études comme l’étude sur les expériences négatives vécues durant l’enfance (Adverse Childhood Experiences) qui portent sur les neurosciences des traumatismes et de la résilience révèlent ce que les Autochtones savent depuis des temps immémoriaux à propos de la guérison et du fait de vivre une vie saine et équilibrée. L’importance de l’équilibre entre la famille et la santé mentale, nos sentiments, nos activités physiques, notre alimentation, notre langue et notre terre, notre culture, notre raison d’être et notre signification, ainsi que notre spiritualité, sont autant d’éléments importants du bien-être.
Le lien entre l’esprit et le corps n’est pas seulement quelque chose dont les psychologues parlent depuis des années. Nous avons la preuve de ce lien grâce aux neurosciences. C’est quelque chose que les peuples autochtones ont toujours honoré et respecté. C’est la sagesse autochtone qui a toujours existé. Il y a de l’espoir dans le fait que nous disposons de la science pour pouvoir prouver et comprendre pourquoi nos différentes pratiques rythmiques comme le tambour, la danse, le pow-wow et le chant sont si bonnes pour nous. Nous savons que le tronc cérébral réagit à ces activités vésiculaires d’une façon qui nous aide vraiment à guérir et à nous remettre de traumatismes.
Les études montrent que le fait d’être en lien avec la nature est également bénéfique pour notre santé physique et notre bien-être, ce que les peuples autochtones ont toujours su. On dit que passer 120 minutes en plein air par semaine peut améliorer considérablement votre santé cardiaque, diminuer votre rythme cardiaque au repos et favoriser des sentiments positifs. C’est incroyable, les avantages que la nature peut avoir ! Et donc, pour moi, c’est ça l’approche holistique que les Autochtones respectent depuis longtemps et honorent dans leurs traditions, et c’est pourquoi nous essayons de ramener les gens vers la nature, parce que nous savons que c’est ce qui fonctionne.
Je pense que c’est étrange que les médecins contemporains obtiennent tout le crédit pour cette recherche quand, si vous regardez les façons traditionnelles de guérir des peuples autochtones, surtout d’expériences traumatisantes, ces peuples honorent ces concepts depuis très longtemps. Et maintenant, nous avons les données scientifiques pour pouvoir dire : « Devinez quoi ? Nous allons dans la bonne direction. » Si nous revenons à nos terres, à notre culture, à nos traditions, à nos cérémonies et à nos pratiques de guérison, nous allons nous en sortir, vraiment, vraiment nous en sortir. Il faudra peut-être six ou sept générations, mais nous y parviendrons.
Je pense que l’un des défis du milieu médical traditionnel est que, je vais dire les choses telles qu’elles sont, il y a beaucoup d’ego, et je pense que la réponse repose véritablement sur l’humilité culturelle. Je ne crois pas vraiment à la compétence culturelle. Je donne un cours de counselling multiculturel de cycle supérieur à une université depuis 15 ans, et tous les manuels sont encore très saturés de compétences culturelles. Nous devons former nos professionnels de la santé à l’humilité culturelle, sachant que ce n’est pas une destination, mais un parcours de toute une vie, et qu’il y a tellement de diversité même au sein d’une culture, que nous devons être des observateurs et des apprenants humbles et curieux. Et le plus grand défi pour nous dans le secteur de la santé consistera vraiment à démasquer les écarts de pouvoir.
Je pense qu’elles ont déjà toutes les connaissances nécessaires, mais il y a eu une énorme séparation ou un énorme décalage entre une grande partie de ces connaissances, et les enseignements et les familles. Nous ne parlons même pas aujourd’hui de COVID, alors nous allons devoir rétablir la connexion. Renouer avec la famille, la langue et la culture. Nous allons devoir déposer notre culture entre les mains des gardiens de la sagesse et les rémunérer à leur niveau d’expertise. Ils méritent entièrement de pouvoir nous enseigner et partager avec nous les enseignements que nous avons perdus au fil des générations à la suite de la colonisation.
Et nous avons besoin de ressources. Je travaille pour une nation signataire de traité, et je travaille aussi dans un cabinet privé, et j’observe que le délai d’attente est de 7 à 8 mois en ce moment, et c’est tellement inacceptable. Je travaille tellement de samedis matin, et je me sens mal, car j’ai besoin de cet équilibre pour mon propre bien-être et mes propres enfants, et pour soutenir mes patients. Mais mon cœur est écrasé sous le poids du besoin en ce moment en raison de la COVID. C’est assez traumatisant pour beaucoup de gens de ne pas pouvoir se réunir ou participer à des cérémonies, et cette déconnexion rappelle étrangement une période sombre de notre histoire pour beaucoup. Si j’avais plus de ressources maintenant, j’amènerais les enfants dans les montagnes et à la mer, sur l’eau, tout l’été. Nous avons besoin d’un accès à la terre pour notre bien-être, le bien-être non seulement des jeunes, mais aussi de toutes nos familles. Nous avons besoin de réunions familiales. Je pense sincèrement que nous aurions avantage à recevoir plus de soutien et à élever nos jeunes dans nos communautés autochtones afin qu’ils puissent devenir des leaders et offrir ces services un jour.
Les jeunes avec qui je travaille. Ce sont eux qui me donnent de l’espoir et de l’optimisme. Je vois des jeunes qui ont affronté une adversité extrêmement grande, mais qui font encore preuve d’une résilience, d’une force et d’une intégrité incroyablement exemplaires dans leur vie.
Pour ce qui est du racisme systémique et de la capacité de le combattre, je pense que nous sommes encore un peu perdus. Cependant, ce qui me donne de l’espoir au quotidien, ce sont les jeunes et les familles que je soutiens. Ils m’étonnent et m’impressionnent continuellement avec leurs témoignages de résilience et de force malgré ces choses terribles qu’ils doivent affronter et qu’ils ont surmontées.
Dans notre foyer, nous allons la célébrer, c’est certain! Nous sortirons nos tambours et chanterons. Je préparerai aussi probablement des mets traditionnels. Habituellement, les enfants portent leur regalia, leur tenue cérémonielle, et vont à l’école où ils assistent à une cérémonie d’hommage. En raison de la COVID, la journée sera un peu différente, mais nous allons absolument nous assurer d’honorer.
Le plus important pour moi, c’est que j’élève des enfants qui sont fiers d’être autochtones. Ils sont fiers de leurs ancêtres et de leur culture, et peu importe ce que nous ferons ce jour-là, peu importe les restrictions, cette journée permettra profondément d’encourager et d’aider ces enfants à trouver leur fierté culturelle.
DRE JENNIFER MERVYN, MA, PhD, psychologue agréée, Jennifer Mervyn a été reconnue par CAMH comme l’une des 150 Canadiens qui font une différence en matière de santé mentale. Elle est psychologue agréée et offre des services de counseling individuel, familial et de groupe, ainsi que des traitements de santé mentale. Elle possède une vaste expérience des traumatismes et de la toxicomanie et utilise dans son travail des approches thérapeutiques novatrices et culturellement informées. Jennifer est Métis, mère de quatre enfants et défend avec vigueur la communauté autochtone. Elle est consultante, enseignante et formatrice en matière de pratiques et de politiques tenant compte des traumatismes dans tout le pays.