Pour souligner le Mois national de l’histoire autochtone, nous vous présentons un article de la Dre Arlene Laliberté, psychologue et experte de LifeSpeak inc., Anishenabekwe (femme algonquine) du Témiscamingue. La Dre Laliberté explore la puissance d’apprendre à décoloniser notre esprit, ce qui peut avoir de profondes répercussions sur notre vie, notre communauté et notre milieu de travail.
En nous faisant part de sa perspective, elle explique que le processus dépasse largement le bien-être personnel; il s’agit de réconciliation et de bâtir des relations respectueuses avec les communautés autochtones.
J’ai été invitée à me joindre à un comité dans un hôpital parce que l’on voulait mieux desservir les patients de l’unité psychiatrique et les personnes en réadaptation.
On m’a demandé :
– « Comment pouvons-nous mieux desservir la population autochtone dans cette région? »
Je leur ai répondu qu’avoir un aîné au sein du personnel et offrir des pratiques de guérison traditionnelles comme des sueries et divers types de cérémonie pourrait être très utile. Cette idée a vite été rejetée :
– « Non, c’est un hôpital, on base tous nos soins sur des données empiriques. »
J’ai donc demandé :
« Il y a une chapelle dans cet hôpital? »
– « Bien sûr! »
J’ai demandé pourquoi.
– « Parce qu’avoir la foi, croire en quelque chose et prier, c’est important, et ça peut vraiment aider les gens à guérir. »
J’ai donc répondu :
– « Donc, si je comprends bien, et avec tout le respect que je vous dois, vous croyez qu’un homme né d’une vierge a fait des actes magiques pendant toute sa vie, est mort, est ressuscité, mais qu’avoir des rites traditionnels autochtones, ce n’est pas empirique et c’est superstitieux? »
On ne m’a pas réinvité au comité.
Décoloniser, c’est reconnaître les conceptions du monde autochtone. Pour les Anichinabés, la nature relationnelle de l’épistémologie autochtone reconnaît comme indissociables les aspects physiques, mentaux, émotionnels et spirituels des individus avec toute forme de vie, la terre elle-même et le cosmos. Donc, c’est vraiment une vision holistique. La somme est plus que l’ensemble des parties, et ces parties sont indissociables. La façon de voir, de s’expliquer et d’expérimenter nos réalités est fluide, non linéaire, et relationnelle. Plusieurs façons de savoir autochtones acceptent autant le domaine physique que le domaine non physique comme étant des réalités.
Il n’est pas rare que dans ma pratique, des clients me racontent avoir vu, entendu ou ressenti la présence de leurs proches décédés. C’est certain que j’explore un peu la présence d’un trouble, mais je sais que ça peut faire partie de leur processus de deuil et je les accueille dans cette réalité. Le fait que je comprends cette dimension et qu’ils n’aient pas à s’expliquer ou à se justifier les aide à cheminer dans leur deuil.
De la même façon, pour les Anichinabés et d’autres nations autochtones, la santé est plus qu’une absence de maladie. C’est vraiment un concept positif et holistique qui met l’accent sur les ressources culturelles, communautaires, familiales et personnelles, ainsi que les capacités spirituelles, mentales et physiques. C’est une vision impliquant toute la communauté dans laquelle chaque personne peut atteindre son plein potentiel humain et amener le bien-être total de sa communauté. Ceci inclut également le concept cyclique de vie-mort-vie.
Ainsi, connaître l’importance des interrelations ou des impacts des traumatismes historiques m’aide à mieux guider mes clients vers des solutions logiques pour eux. Ce serait différent si j’avais une autre clientèle.
La réconciliation s’impose pour de meilleures relations avec les peuples autochtones. La réconciliation, c’est un processus continu qui vise à établir et maintenir des relations respectueuses. Un élément essentiel de ce processus consiste à réparer le lien de confiance en présentant des excuses, en accordant des réparations individuelles et collectives et en concrétisant des actions qui témoignent de véritables changements sociétaux.
Travailler dans une perspective de décolonisation et de réconciliation nous demande de reconnaître les effets destructeurs de l’oppression vécue par les Autochtones, la façon dont plusieurs groupes autochtones e représentent leur environnement et certaines valeurs fondamentales essentielles à leur guérison.
Il faut aussi regarder sa propre position de pouvoir dans la dynamique aidant. C’est également très important d’entreprendre une démarche personnelle de décolonisation. Cela demande un travail de réflexion personnelle, de faire sa propre recherche et surtout de faire confiance aux personnes qui viennent nous voir pour de l’aide. En tant que psychologue, je crois en les forces et les capacités de mes clients tout en les accueillant dans leurs souffrances.
C’est certain qu’une personne ne peut pas changer le monde toute seule, mais travailler dans une perspective de décolonisation et de réconciliation peut changer le monde d’une personne. Et juste ça, ça en vaut la peine.
À propos de l’auteur : Dre Arlene Laliberté
Arlene Laliberté, Ph. D., est Anishenabekwe (femme algonquine) du Témiscamingue. Après l’obtention de son doctorat en psychologie de l’UQAM, elle a fait un postdoctorat auprès de communautés autochtones de l’Australie. Arlene est membre de l’Ordre des psychologues du Québec.