L’aplatissement de la courbe de la santé mentale devrait constituer notre prochain défi
Lors d’une conversation récente, un collègue et moi avons discuté des changements que nous avons subis tant sur le plan professionnel que personnel en raison de la pandémie de COVID-19. La façon dont nous pratiquons notre métier, l’ampleur de l’imprévisibilité, notre incapacité de communiquer avec les gens dans le cadre de relations interpersonnelles et les défis professionnels qui nous attendent. L’incertitude était le thème dominant de la conversation.
Il y a un fait sur lequel nous pouvions tous deux nous entendre : une crise de santé mentale frappait déjà avant la survenue de la pandémie, crise qui pourrait même s’aggraver. En particulier, un nombre alarmant d’hommes et de garçons font face à de nombreuses difficultés qui entraînent un nombre inquiétant de problèmes de santé mentale. Ce qui est le plus préoccupant, c’est le pourcentage élevé d’hommes qui se suicident partout dans le monde.
Pour mettre les choses en contexte, selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne mettra fin à ses jours toutes les 40 secondes, et le taux de suicide chez les hommes est environ trois à quatre fois plus élevé que chez les femmes. Au Canada, les hommes représentent plus de 75 % des suicides. Cela représente une moyenne de 50 suicides par semaine chez les hommes.
Aux États-Unis, les suicides chez les hommes sont en hausse depuis 2000, et bien que le suicide soit la septième cause de décès, il s’agit de la deuxième cause de décès la plus courante chez les hommes de moins de 45 ans.
SIGNES AVANT-COUREURS
Les personnes qui pensent au suicide peuvent présenter des signes avant-coureurs, et chez les hommes, il peut s’agir d’un changement soudain de comportement. Voici quelques-uns des signes avant-coureurs les plus courants :
Perte d’intérêt pour les activités que la personne aime normalement et dont elle tire du plaisir. Déconnexion de la famille et des amis, baisse de la présence ou de l’engagement par rapport à la normale, baisse du taux de réponse aux messages.
Certains des signes peuvent être plus visibles, surtout si vous connaissez la personne et comprenez ses habitudes. Vous pouvez percevoir des changements dans leurs habitudes de sommeil, notamment le fait de dormir davantage ou d’être agité et d’avoir de la difficulté à dormir.
Parmi les autres signes avant-coureurs à prendre en compte, mentionnons l’augmentation de la fréquence de la consommation excessive d’alcool ou de la consommation de drogues. Les hommes peuvent montrer une colère, une irritabilité et une prise de risques accrues, mais certains des signes les plus évidents sont le souhait de mourir et le fait d’avoir déjà élaboré un plan pour y parvenir.
FACTEURS DE RISQUE
Les facteurs qui exposent une personne au risque de suicide ne sont toujours pas bien compris, et ne le seront peut-être jamais. Cependant, nous commençons lentement à en apprendre davantage sur certains facteurs qui font courir aux hommes des risques encore plus grands. Premièrement, il peut être difficile de trouver du soutien. Le manque de politiques et d’investissements pour créer des services a eu pour effet de laisser peu d’options, surtout celles qui ont peu d’obstacles, pour les hommes qui sollicitent de l’aide. Néanmoins, bon nombre des obstacles au traitement existent en raison des idées fausses au sujet de la santé mentale et des attentes sociales qui règnent depuis longtemps à l’égard des hommes.
La façon dont les qualités masculines sont promues dans de nombreuses cultures peut souvent inciter les hommes à supprimer leurs émotions et à garder le silence sur les défis qu’ils rencontrent dans leur vie. Les attentes que les cultures suscitent et la façon dont ces attentes nous façonnent peuvent avoir une incidence considérable sur notre comportement et notre bien-être. Un grand nombre d’hommes qui liront ce texte se seront probablement fait dire, ou verront un homme se faire dire : « soyez un homme » ou « prenez sur vous ». On s’attend à de la ténacité, tandis que la vulnérabilité émotionnelle est perçue comme une marque négative qui entache notre virilité. Pour beaucoup, supporter les pressions des attentes sociétales, comme l’autonomie, la force et la prise en main de sa vie, peut mener à un point de rupture. Demander de l’aide peut être interprété à tort comme une admission que quelque chose ne va pas. Cela peut retarder davantage le délai entre l’aide professionnelle et l’accès au traitement.
Beaucoup d’hommes pensent aussi qu’ils sont un fardeau. Trop souvent, nous pouvons trouver plus facile d’aider les autres tout en négligeant nos propres besoins. Nous nous inquiétons de solliciter de l’aide en raison de la stigmatisation perçue et de la crainte qu’en recevant un diagnostic de maladie mentale, vous deviez porter la honte associée à votre état. Les séquelles de la stigmatisation sont profondes. Le seul fait qui demeure, c’est qu’il existe de nombreuses idées fausses.
INTERRELATIONS HUMAINES
Peu de gens le savent, mais pour les hommes, la solitude compte parmi les principaux facteurs de stress dans la vie. Ils peuvent compter sur des amis lorsqu’il s’agit de conseils pour des problèmes pratiques quotidiens, mais pas pour leurs besoins émotionnels. La solitude et l’isolement social sont différents, mais liés. La solitude est un état émotionnel. L’isolement social est le manque de contacts sociaux et le fait d’avoir peu de personnes avec qui interagir régulièrement.
En tant qu’émotion, la solitude nous pousse à rechercher la sécurité des groupes sociaux. Trop souvent, nous pouvons nous adapter et nous débrouiller pour prendre les mesures nécessaires pour établir des liens. Mais quand elle persiste et ne disparaît pas, la solitude peut créer de nombreux problèmes. Nous sommes plus susceptibles de consommer trop d’alcool, de faire de mauvais choix nutritionnels et de faire moins d’exercice. Tout cela peut mener à un déclin supplémentaire de notre santé mentale. Par ailleurs, tous ces facteurs contribuent à la dépression et au suicide chez les hommes. L’absence d’un réseau émotionnel a un impact négatif profond sur l’appartenance sociale et le bien-être mental des hommes, ce qui fait courir à de nombreux jeunes hommes un risque accru de suicide.
Nous savons déjà que les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’avoir recours au soutien en santé mentale. Toutefois, les hommes peuvent, au bout du compte, se tourner vers les femmes et trouver des façons semblables de créer des liens sociaux qui peuvent aussi répondre à leurs besoins émotionnels. À une époque où nous pouvons communiquer avec plus de gens grâce à un simple clic, les gens n’ont jamais été aussi seuls. Avoir des liens humains plus profonds est l’un des facteurs les plus importants pour protéger notre bien-être et promouvoir une bonne santé mentale.
EN AMONT
Dans le domaine des soins de santé, la clé de la prévention des problèmes graves et à long terme qui nécessitent un traitement intensif est le traitement en amont et la résolution des problèmes le plus tôt possible. Le traitement en amont existe dans nos collectivités. Il permet de supprimer les obstacles sociétaux et structurels pour faire en sorte d’améliorer les résultats en matière de santé.
En tant qu’amis, membres d’une famille ou collègues, nous devrions tous nous efforcer d’être plus attentifs à tout changement de comportement notable, ce qui pourrait être un signe avant-coureur que quelqu’un ne va pas bien. Nous pouvons nous informer sur la façon de poser les bonnes questions au bon moment et de maintenir une conversation qui pourrait simplement sauver la vie d’un être cher.
Lorsqu’une collectivité travaille main dans la main pour promouvoir la santé mentale, cela permet aux hommes d’acquérir les connaissances et le soutien dont ils ont besoin pour prendre soin d’eux-mêmes et des gens qui les entourent. Les hommes qui reçoivent les bons outils pour accepter leurs sentiments sont plus susceptibles de partager leurs expériences avant qu’elles ne deviennent accablantes. Voilà un modèle qui peut être transmis et encouragé.
QUE PEUVENT FAIRE LES HOMMES ?
Nous faisons habituellement passer le temps personnel derrière le reste. Les passe-temps, les relations et la création de temps libre sont souvent négligés, surtout lorsque le stress atteint son paroxysme.
Nous entendons souvent parler de « soins personnels », mais il n’est pas nécessaire que les soins personnels soient doux et moelleux. Il s’agit simplement de prêter attention à vos besoins, qu’ils soient physiques, émotionnels ou mentaux.
Les hommes ont tendance à parler en se serrant les coudes, et non face à face. Nous devons nous montrer plus actifs dans le maintien des liens sociaux en accordant la priorité aux amitiés et aux bonnes relations. Les hommes qui sont connectés et capables de maintenir des relations sont déjà plus susceptibles d’avoir un filet de sécurité. Ils sont donc mieux placés pour demander de l’aide; c’est vital si un homme pense au suicide.
Si vous avez des pensées suicidaires, ne les ignorez pas. Si vous n’avez pas l’impression d’être dans un endroit sécuritaire, le temps est venu de tendre la main. Vous n’êtes pas seul dans la lutte. Les renforts sont là.
La guérison est possible. Des hommes qui ont essayé de mettre fin à leurs jours, ou qui ont souffert d’une maladie mentale et de pensées suicidaires, réussissent à se rétablir et mènent une vie qui est complète et qui a du sens.
La santé mentale ne devrait plus être un sujet tabou.
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Mícheál est un psychothérapeute agréé par l’Ordre des psychothérapeutes agréés de l’Ontario (OPAO) et membre de l’Association ontarienne des professionnels de la santé mentale (OAMHP). Il a déjà obtenu le statut de psychologue agréé auprès de la Psychological Society of Ireland et est diplômé de la British Psychological Society.
Mícheál codirige actuellement plusieurs projets au sein du Centre de santé mentale du University Health Network (UHN) et assure notamment la direction et la supervision du programme de santé mentale communautaire et du processus d’accréditation du Centre de santé mentale de l’UHN pour 2021.
Mícheál assure la supervision des membres qualifiés du CRPO et d’autres collèges en Ontario, Canada. Il assure également le leadership des résidents en psychiatrie qui effectuent leur stage dans le cadre des programmes de santé mentale du UHN en affiliation avec l’Université de Toronto. Dans le cadre de ses fonctions antérieures, il a également été cofacilitateur du programme de toxicomanie communautaire de l’hôpital St Michael à Toronto.
Mícheál a travaillé dans les secteurs public et privé de la santé, ainsi que dans des établissements d’enseignement et d’emploi. Il a travaillé dans plusieurs systèmes de santé, notamment le NHS au Royaume-Uni et le HSE en Irlande. Bien qu’ayant travaillé dans de nombreux environnements, il a un intérêt particulier et une passion pour le travail en étroite collaboration avec les hommes afin de les aider à résoudre leurs problèmes de santé mentale et de toxicomanie.